Poésie des grandes solitudes
Quoi de plus normal pour une institution qui s'est justement donnée pour mission d'expérimenter les rencontres entre musique et théâtre.
Et quoi de plus normal d'inviter Fabrice Murgia à développer une création. Le metteur en scène s'est révélé dans le théâtre documentaire, et s'intéresse depuis une quinzaine d'années aux promesses des mélanges des genres.
Avec la Cappella Mediterranea et le directeur musical Quito Gato, c'est un quatuor à cordes et un trio d'interprètes qui tiendront le devant de la scène: Mariana Flores, extraordinaire soprano de la Cappella Mediterranea et les chanteurs Arezki Aït-Hamou et TK Russell, le premier aussi à l'aise dans les chants arabes que le second dans le hip-hop.
Soit des éléments très différents qui seront comme les pièces d'un puzzle - ou plutôt d'une mosaïque, selon le mot du metteur en scène - qui se mettront en place au fil d'un spectacle où il sera question de solitude. De solitude contemporaine, mais aussi de rencontres.
Entretien avec Fabrice Murgia autour de Seasons, un des spectacles emblématiques de la saison 24-25 de la Cité Bleue.
Le script évoque trois personnages dans un immeuble qui va s’effondrer, ou qui s’est déjà effondré - avec différentes temporalités, différents niveaux de réalités. Cela ramène à des dispositifs en cours dans la science-fiction. Est-ce un hasard?
C’est drôle car j’aime bien la science-fiction. Mais ce n'est pas une référence directe dans cette création. Ou alors peut-être inconsciemment...
Mais oui, l’action se développe avec des fragments de mosaïque qui induisent chacun des sensibilités distinctes. Relativement à l’effondrement, des personnages semblent en avoir connaissance, puis plus tard l’ignorer...
Tout cela fait que pour les spectateurs, Seasons sera une proposition ludique qui va demander à chacun de tirer des fils pour avoir une vision d’ensemble.
Pour restituer une constellation de solitudes. Pensez aux fenêtres d’un gigantesque immeuble d’habitation. Leur similitude abrite des expériences et des vies très différentes.
Les trois personnages, les trois voix du spectacle renvoient complètement à cette image d’immeuble d’habitation impersonnel. Ils seront comme des bornes qui vont se connecter à des fils, et créer une musique commune entre les petites fenêtres.
Oui, TK Russell est connu dans le domaine de la soul et de la chanson, Arezki Aït-Hamou va du hip hop à la musique arabe, et Mariana Flores est à la fois une très grande soprano lyrique, mais aussi à l’aise dans le flamenco, les musiques latines et populaires.
Un des enjeux du spectacle est d’aller confronter ces personnages chacun porteur d’une poésie différente.
C’est un spectacle tout à fait réaliste. Mais nous jouons beaucoup avec les codes de réalité. Avec des lieux particuliers comme des caves, des greniers qui font partie du monde réel. Mais comme un karaoké sans un seul client, ce sont des endroits qui permettent une autre approche - des choses inattendues peuvent s’y produire.
Le recours à des images filmées n’est plus exceptionnel au théâtre, ni à l’opéra. Mais plutôt que de vidéo, vous parlez de cinéma. Comment faut-il comprendre la différence de dénomination?D’habitude, je travaille avec des images filmées en direct sur scène (vidéo, nd.r.). Ici, nous avons recours au cinéma de fiction - scènes pré-filmées et prémontées - avec les codes narratifs du cinéma et la possibilité de mixer et étalonner les prises de vues. Nous retrouvons une qualité d’images sans comparaison avec la vidéo, et nous les projetterons pour l’essentiel sur un grand écran. L’effet attendu est de l’ordre de l’hyper-réalisme.
Mais encore?Il sera possible de voir une scène qui se passera en même temps sur scène et sur grand écran. Cela peut contribuer à souligner la fragilité du moment présent et de l’interprétation.
Nous sommes plus sensibles à la fragilité d’une situation lorsque quelque chose d’organique, en direct, vient se superposer à un élément pré-réalisé, Il y a de petites rencontres de ce type au fil du spectacle qui sont pour moi comme des petits carrefours.
Ce sera le quatuor à cordes. Il a une connivence avec naturelle avec les trois solistes vocaux, et cela s’accorde aussi très bien avec le cinéma, car les cordes et le cinéma ont également toute une histoire commune.
Vous travaillez depuis une quinzaine d’années dans ce mélange des genres. Essayez-vous de créer de l’émotion en privilégiant des télescopages inédits?Oui cela fait quinze ans. Mais je parlerai plutôt d’un travail de rencontres de genres que nous malaxons.
Dans ce travail de recherche pluridisciplinaire, progressez-vous sur une même ligne, ou est-ce que chaque spectacle conduit à la création d’une nouvelle grammaire, inédite?
C’est une grammaire qui avance au fil des rencontres. Avec Seasons, c’est évidemment dans le domaine musical grâce à la direction de Quito Gato et à la collaboration en général de la Cappella Mediterranea qui jouent un rôle primordial dans cette création.
Ma démarche consiste toujours à orchestrer des disciplines. Au-delà de l’idée que l’image puisse être le relais émotionne d’un chanteur-acteur, c’est qu’elle puisse rentrer dans dans le cadre de cette mosaïque que j’évoquais tantôt, qui m’intéresse et me motive.
Seasons
Du 25 au 29 octobre à La Cité Bleue
Fabrice Murgia, mise en scène & texte - Quito Gato, direction musicale & arrangements
Mariana Flores, soprano Arezki Aït-Hamou, chanteur TK Russell, chanteur
Paloma Martin Balmori, Noémie Nenert, violon - Elise Vaschalde, alto - Beatriz Raimundo, violoncelle - Quito Gato, guitares & percussions - il Baskerville, piano - Cappella Mediterranea
Informations, réservations:
https://lacitebleue.ch/evenement/seasons/