"Je ne suis jamais plus heureux que quand on redécouvre une œuvre que l’on croyait connaitre par cœur"

Publié le 14.06.2024

Raphaël Merlin dirige L'Orchestre de Chambre de Genève (L'OCG) et Matthias Goerne, mardi 18 juin, pour le dernier concert d'abonnement de sa saison 23-24 de L'OCG.

Connu et reconnu comme violoncelliste et membr du Quatuor Ébène pendant une vingtaine d’années, Raphaël Merlin s’est produit sur les plus grandes scènes internationales. Du Carnegie Hall à New York au Suntory Hall de Tokyo, en passant par la Philharmonie de Paris ou le Concertgebouw d’Amsterdam, il a travaillé avec des partenaires de musique de chambre comme Antoine Tamestit, Renaud et Gautier Capuçon, Sir András Schiff ou Nicholas Angelich.

La musique de chambre n’a pas de secret pour lui, et pourtant, en novembre 2022 sa carrière prend un nouveau tournant avec sa nomination au poste de directeur artistique et musical de l’Orchestre de Chambre de Genève. Rencontre avec le chef aux multiples casquettes, pour évoquer la saison à venir.



Pour votre deuxième saison comme directeur artistique de l’OCG, vous avez construit une saison avec l’eau comme fil conducteur. Comment l’avez-vous pensée ?

Pour construire une saison, c’est un peu comme pour écrire un texte, un poème, ou même composer une pièce : on commence par jeter sur le papier des idées fortes – qui ne sont pas forcément celles qui resteront à la fin.

Cette ligne thématique autour de l’eau est à la fois une contrainte et une opportunité, puisque c’est un sujet qui a accompagné depuis toujours les créateurs, que ce soit à titre anecdotique comme le Water Music de Haendel qui a simplement été créé sur la Tamise, ou à l’inverse comme le Water Concerto de Tan Dun qui est une pièce qui fait entendre des bruits d’eau.

Les autres œuvres autour de ce thème sont, pour la plupart, plutôt des évocations : de la navigation, de la mer, de la soif, de notre rapport – les humains – à l‘eau qui est notre élément premier. C’est notamment le cas de La Mer de Debussy ou Les Hébrides de Mendelssohn.

En dehors du fil conducteur, les programmes ont une cohérence, entre liens familiaux, liens professeur/élève.

Je pense que c’est important d’avoir un fil conducteur : cela nous oblige à faire des découvertes, mais il faut aussi qu’un concert soit auto-suffisant pour que le spectateur n’ait pas l’impression de passer à côté du sujet en ratant un des concerts.

La cohérence d’un programme permet de garder une ligne directrice dans un même concert. Par exemple, pour le concert du 8 mai, nous partons de l’ouverture de Sadko de Rimsky Korsakov, qui s’inspire d’une légende sous-marine russe et par dérivation, nous arrivons sur L’Oiseau de Feu, premier coup d’éclat de Stravinsky qui fut l’élève de Rimsky-Korsakov.

En ce qui concerne le « concert Schumann », nous retrouvons la thématique de l’eau à travers la Symphonie Rhénane. Le Rhin a beaucoup inspiré le romantisme allemand, et c’est aussi le lieu où Schumann a fait sa tentative de suicide. À travers la personnalité – qui est vraiment un cas psychiatrique – de Robert Schumann, il était intéressant de convier Clara Schumann au cœur de tout cela avec son histoire à elle, et Woldemar Bargiel qui était une sorte de demi-frère par alliance de Clara. Il a été une personnalité assez influente et importante dans sa vie.

Ce concert est une fresque à trois compositeurs liés par la famille. Des liens logiques apparaissent pour rendre les programmes cohérents en termes d’effectifs et de dramaturgie.

Votre programmation pourrait être qualifiée d’éclectique, entre création, jazz, grands classiques...

L’éclectisme, c’est à la fois une méthode pour garder les oreilles ouvertes et un vecteur de rencontre avec des publics différents. Ce rayonnement est nécessaire. Je ne dis pas que nous devons délaisser notre cœur de répertoire, mais je pense que notre expérience artistique s’enrichit en accompagnant par exemple Jeanne Added ou KT Gorique, ou en jouant une pièce écrite par Brad Mehldau.

Si je me mets à la place d’un abonné ou d’un auditeur régulier, je pense qu’un des éléments les plus importants, c’est la surprise. Si les choses sont attendues, prévisibles et conformes à ce que l’on attend, il y a une sorte de cloisonnement dans l’aventure, une sorte de stérilisation.

Je ne suis jamais plus heureux que quand on redécouvre une œuvre que l’on croyait connaitre par cœur comme si c’était la première fois.

Aviez-vous eu l’occasion de vous essayer à la programmation avant L’OCG ?

Pas à cette échelle ; je n’avais jamais été responsable d’une saison complète. J’avais déjà programmé pour mon orchestre en France, les Forces Majeures. Je continue à le diriger et à le programmer, mais c’est un orchestre de projets, donc nous montons un programme ou deux par an et nous les faisons tourner.

Ici, ma mission consiste à offrir au public genevois une grande ligne, une grande fresque, beaucoup plus nourrie, et à accompagner l’orchestre de manière à proposer un projet artistique qui permette de valoriser l’espace d’expression des musiciens et de l’orchestre dans son ensemble.

C’est justement suite au concert avec les Forces Majeures que vous avez pris vos fonctions à L'OCG ?

Il y a eu un alignement de planètes. Quand j’ai dirigé L'OCG pour la première fois pour le concert de clôture de cette tournée, nous avions fusionné les deux orchestres et c’est à ce moment que j’ai su que L'OCG cherchait un successeur à Arie van Beek.

Ce concert en lui-même était une évidence pour moi : une vraie rencontre humaine, avec une équipe disposée à travailler et à interroger des idées, des concepts musicaux.

Est-ce que vous aviez déjà dans l’idée de vous orienter plus durablement dans la direction avant ce concert ?

J’ai commencé la direction d’orchestre autour de 15 ans. J’ai étudié, j’ai commencé à faire quelques projets, et quand je suis entré dans le Quatuor Ébène en 2002, je travaillais tous les jours, toute la semaine très intensément. À ce moment-là, j’ai mis la direction d’orchestre et la composition un peu de côté.

J’ai péniblement réussi à finir mes études de violoncelle. Il m’arrivait de jouer un concerto presque par accident au milieu de tout cela, mais j’étais déjà bien assez occupé. Ensuite, progressivement, j’ai repris la direction d’orchestre à partir de 2007-2008 à raison de un ou deux concerts par an, j’ai créé les Forces Majeures en 2014, et à partir de là, il y a eu une dynamique qui me faisait réussir à concilier tout cela jusqu’à l’année dernière.

Je n’avais pas forcément un plan de carrière, mais l’évidence de la rencontre avec L’OCG m’a amené au point où il fallait que je réalise cette bascule parce que je n’avais matériellement plus le temps de tout faire.

Côté direction, vous travaillez maintenant avec Gábor Takács-Nagy, votre ancien professeur. Est-ce une fierté ? Une satisfaction ?

Gábor a toujours été un grand frère pour moi : un homme tellement généreux. Il sait entendre des jeunes musiciens avec une fraternité, une disponibilité, une empathie et une réelle prise en compte des difficultés de ce métier.

Maintenant qu’il est chef d’orchestre à 100%, je pense qu’il a gardé intacte cette passion. Il arrose l’orchestre comme on aurait besoin d’arroser des fleurs. C’est un plaisir de faire partie de la même famille qu’est L'OCG.

Parmi les chefs de cette saison, je pense qu’il est aussi important de citer la deuxième artiste associée Holly Choe. Elle propose tous les ans un projet très original, à son image, et je suis très heureux de cela, car je pense que L'OCG peut aussi jouer un rôle d’incubateur. Je pense notamment à Marc Leroy-Calatayud qui propose annuellement un opéra et qui fait ses débuts au Staatsoper de Vienne cette année, c’est extraordinaire.

Je ne dis pas que c’est simplement grâce à L'OCG, mais nous sommes sur son chemin. C’est quelque chose de très précieux.
Propos recueillis par Sébastien Cayet


L'Orchestre de Chambre de Genève (L'OCG)


Découvrir la Saison 24-25.
Informations, abonnement:
https://locg.ch

Prochains Concerts (ante Saison 24-25)
18 juin. Concert de Soirée avec Matthias Goerne. Raphaël Merlin, direction
Programme: Œuvres de Schubert et Malher. Plus d'infos, réservations:
https://locg.ch/fr/calendrier/soiree-7

22 juin, 20h30 L'OCG à la Fête de la Musique, dans la Cours du Palais de Justice, Genève
Arie van Beek, direction. Plus d'infos:
https://locg.ch/fr/calendrier/fete-de-la-musique-2024

30 juin, 15h00, L'OCG à l'Eglise Saint-Pancrace , Yvoire, dans le cadre du Léman Bouquet Festival. Plus d'infos:
https://locg.ch/fr/calendrier/leman-bouquet-festival

15 juillet 20h30, Parc de La Grange, Genève
Avec Pretty Yende, soprano. Raphaël Merlin, direction. Plus d'infos:
https://locg.ch/fr/calendrier/musique-en-ete