Publié le 07.06.2025
À partir du 10 juin, l'opéra Job, le Procès de Dieu, commande de la Cité Bleue, sera présenté en création mondiale à Genève.
Son compositeur Michel Petrossian, français d’origine arménienne, est un artiste aux muliples intérêts. Passionné de langues - il en apprend une dizaine – de civilisations anciennes et de littérature, il obtient un Master en lettres classiques à la Sorbonne. Diplômé en composition au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, il étudie aussi l’ethnomusicologie et la musique classique indienne, et co-fonde l’ensemble Cairn, spécialisé dans la musique contemporaine, montrant ainsi l’étendue de ses domaines d’intérêt.
Sur grand écran, il signe des bandes originales de films, dont celle du succès En fanfare, sorti en 2024.
Job, le Procès de Dieu sera présenté en création mondiale. À quelquess jours de la premièrec, nous avons pu nous entretenir avec le compositeur.
L’opéra se base sur un texte biblique. Pourquoi avoir choisi ce sujet?
Je l’ai choisi pour le thème de la souffrance injuste.
Leonardo Garcia Alarcón est ami avec la violoniste Chouchane Siranossian. Elle a été extrêmement touchée par les événements qui se sont déroulés il y a quelques années en Arménie, dans le Haut Karabagh, et Leonardo a été très marqué par cette peine que Chouchane portait.
Il a voulu revenir sur ce sujet en musique et lui a demandé si elle avait l’idée d’un compositeur qui pourrait s'emparer de ce sujet. Elle a donc eu la gentillesse de donner mon nom et nous nous sommes rencontrés avec Leonardo.
Il cherchait une personne qui pouvait joindre la parole et la musique et comme je fais les deux, il a été vraiment intéressé. J’ai réfléchi pendant quelques mois à mon point de départ, et j’ai proposé le texte de Job.
Le thème de la souffrance injuste, c'est quelque chose qui a beaucoup marqué les civilisations depuis l'aube des temps. Il existe plusieurs textes qui traitent de ce sujet. Par exemple dans la civilisation égyptienne, un texte qui s'appelle Le Dialogue du désespéré avec son bâ est connu depuis le Moyen-Empire, et le Poème du Juste Souffrant à Babylone. Dans notre civilisation occidentale, c'est le Livre de Job qui se pose cette question.
Quand des malheurs se produisent, l’homme a cette réaction spontanée d’être d'abord saisi par la situation, par superstition aussi, et de se tenir à distance des personnes à qui les malheurs arrivent, presque par peur de contamination.
Puis, on finit par presque les accuser d’être responsables de ce qui leur arrive, on cherche le lien de cause à effet. C’est ce qui arrive à Job : il est avec ses trois amis, et une série de malheurs lui arrive.
Une sorte de dialogue un peu métaphysique entre Dieu et Satan nous permet de connaître la raison derrière ces épreuves. Les amis de Job le consolent d’abord, l'avertissent et finissent par l'accuser.
Cela fait partie du lot des gens qui souffrent, c'est l'incompréhension. Comme on ne peut pas aider quelqu'un, on finit par s'en détacher, lui trouver des défauts et il se retrouve isolé. J'ai voulu prendre ce texte, que j'actualise à travers mes propres textes.
Oui et non. Je suis vraiment un homme de dialogue. J'ai besoin de l'énergie des autres, de l'altérité. Et le compositeur est par définition un être extrêmement solitaire.
Dans les derniers mois, je travaillais jusqu’à 18h par jour sur l’opéra. Quand un ou une librettiste est sur le projet, une dynamique très agréable se crée. J'étais « privé » de ce plaisir, mais comme j'ai aussi une formation littéraire - un master en philologie en lettres classiques à la Sorbonne - j'ai beaucoup travaillé les langues anciennes, ce qui m'a aidé pour Job.
L'identité d'un texte, pour moi, elle est à la fois dans le sens mais aussi dans le son. Et pour travailler le son de très près, on peut formuler des souhaits au librettiste, mais quand on est soi-même l'artisan de la lettre, il est possible d’aller assez loin, par exemple en caractérisant certains personnages en accentuant certaines voyelles, en multipliant le nombre de certaines consonnes chez tel autre personnage... On peut se prendre les libertés que l'on veut avec soi-même.
Cela étant, Anaïs de Courson, la metteuse en scène m'a beaucoup aidé ; elle a offert son regard à un moment de mon travail. Le livret était déjà pratiquement terminé mais nous avons procédé à plusieurs relectures ensemble et avons négocié plusieurs resserrements dramatiques, des coupes, des déplacements du texte.
Elle a joué ce rôle extérieur dans la dramaturgie-même de l'œuvre.
C'est justement l’argument du Capriccio de Strauss: « Prima la musica, dopo le parole ». Les deux personnages - un poète et un compositeur - se disputent les faveurs d'une dame.
Et c’est vraiment ce sujet de dispute. Qu'est-ce qui vient d'abord ? La musique ou les paroles ? Chacun plaide sa cause. J’ai beaucoup étudié les auteurs anciens, et notamment les trois tragédiens grecs Eschyle, Sophocle et Euripide, qui étaient en même temps des compositeurs. On ne le sait pas assez, mais les tragédies grecques étaient chantées, et Euripide était plus connu comme compositeur que comme auteur.
Pour ma part, il faut que le texte vienne d'abord pour savoir, par exemple, quel est le nombre de personnages, quelle voix choisir... Mais vous avez raison, ce n’est pas linéaire, il y a toujours ce va-et-vient. Parfois, certaines intuitions musicales qui naissent à partir de quelques lignes du texte me conduisaient à chercher tel ou tel texte.
Complètement. Vous avez raison de parler d'influences parce qu'il y a du patchwork, des petits bouts de chaque. Ce sont des influences, des appropriations, je dirais, où l’on sent, on entend une couleur.
Dans l’écriture, on retrouve des influences aussi des musiques plus traditionnelles, des choses qui sont presque des emprunts ou des reprises, mais tout est toujours intégré dans un tissu très organique : une couleur est perceptible mais sans être vraiment identifiable.
La partition peut s’avérer complexe, pour les chanteurs et pour les instrumentistes, mais j’ai la chance d’être servi par des musiciens extraordinaires, à la hauteur des énergies que je recherche.
La musique comporte une vraie exigence instrumentale et vocale, et une variété de couleurs qui rendent le défi intéressant.