Publié le 02.06.2024
En concert samedi 8 juin à l'Auditorium Ansermet avec un programme Nuit Vénitienne, L’Armonia degli Affetti est un ensemble de musique ancienne qui se spécialise dans la musique italienne et ibérique des XVIIe et XVIIIe siècles. Son premier CD, Tantalo, reçoit plusieurs prix entre 2021 et 2023, dont un CHOC de Classica. .
Chaque année, l'ensemble fondé en 2012 par le claveciniste et organiste Alessandro Urbano propose, à Genève, des concerts à géométrie variable, mêlant volontiers musique instrumentale et vocale. Leur prochain concert célèbre le Combattimento di Tancredi e Clorinda, œuvre de Monteverdi jouée pour la première fois en 1624 et relatant un duel à l’épée. Alessandro Urbano nous en dit plus.
Plusieurs formations célèbrent, cette année, les 400 ans du Combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi. Quelle est l’importance particulière de cette œuvre ?
Il Combattimento di Tancredi e Clorinda est la pièce que Monteverdi a composée comme fondement du stile concitato, une nouvelle manière de composer qu’il présente dans l’introduction du Huitième Livre de madrigaux.
Il expose toute une réflexion : il analyse les trois passions de l’âme - la tempérance, l’humilité et la colère - et remarque que cette dernière ne trouvait aucune caractérisation musicale dans le répertoire.
Il s’attèle donc à composer pour représenter cette passion forte qui est, pour Platon, propre à la guerre, au combat. Pour cela, il se base sur un poème épique qui a connu un succès énorme : La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso. L’épisode du Combattimento fait partie du récit et contient tous les états d’esprit. Tancrède est épris de Clorinda qui appartient au camp rival.
Ils s’affrontent en duel et, au terme d’une lutte acharnée, il la blesse mortellement. C’est seulement lorsqu’il lui ôte son heaume qu’il découvre que c’est contre elle qu’il livrait une bataille. Monteverdi a repris cet épisode car, comme il est lié à la guerre, à une bataille entre deux chevaliers, il est particulièrement adapté à ses essais de représentation des passions colériques. C’est une pièce expérimentale pour proposer une nouvelle écriture ; elle a une importance historique.
Il s’agit effectivement d’un madrigal représentatif à la dimension si imposante qu’il a des similitudes avec l’opéra.
La partition est précédée d’un texte de Monteverdi donnant des instructions concernant la manière de chanter, et de jouer pour les instrumentistes. Dans ce texte sont également donnés des détails sur la première représentation : on apprend que la création de ce madrigal a commencé avec Clorinde qui rentre vêtue d’une armure, et Tancrède qui est à cheval ; il a reproduit la scène de Torquato Tasso.
Pour notre concert, nous n’aurons pas de cheval, évidemment, mais nous essayerons de faire une petite mise en espace pour rendre dans les gestes l’esprit représentatif.
Par ailleurs, Monteverdi raconte également le trouble des musiciens face à l’écriture. Il explique que lors de la première exécution, les musiciens avaient tendance à remplacer par de longues notes les doubles croches répétées qui étaient justement censées représenter le concitato. Ils ne s’étaient jamais retrouvés devant de tels passages.
Voilà l’écriture révolutionnaire. Monteverdi a dû préciser que la musique devait être jouée telle qu’elle était écrite pour représenter l’état d’esprit qui ne l’était pas auparavant.
Par définition, le stile concitato est un style agité. Les doubles croches répétées sont parfaitement adaptées pour représenter l’agitation et c’est effectivement le rythme que l’on retrouve dans ces passages.
Évidemment, toutes les doubles croches n’entrent pas dans cette définition du style, nous pouvons nuancer.
Par exemple au début, lorsque Tancrède est à cheval et qu’il suit Clorinda, la musique s’agite en quelque sorte, mais les petites séries de notes courtes répétées, dans un tempo un peu plus lent, symbolisent plutôt les mouvements du cheval. Le vrai concitato vient d’un sentiment profond, d’une émotion.
Pour Monteverdi, ce n’est qu’un premier exemple. Dans l’introduction, il s’excuse - selon l’usage - pour l’imperfection de l’écriture, mais il précise que c’est un premier essai et que cela servira de base aux compositeurs pour développer ce style.
Et effectivement, cela se retrouve dans l’écriture par la suite : cet effet peut être ressenti dans la musique de Vivaldi effectivement, mais je pense plutôt à une sonate de Dario Castello - qui sera jouée juste avant le Combattimento, lors du concert, et dans laquelle on retrouve les éléments d’écriture.
Ce qui est intéressant, c’est que cette pièce de Castello date de 1629, soit avant la publication. Cette écriture était-elle déjà connue ? Monteverdi a eu un tel succès lors de la première exécution en 1624 que les compositeurs les plus proches en aient eu connaissance.
Il était en tout cas proche de Monteverdi, donc il connaissait probablement ses expérimentations, qu’il a intégrées dans sa sonate.
Je n’ai jamais entendu parler d’une autre représentation entre la première exécution en 1624 et la publication en 1638. Il n’existe pas forcément de document l’attestant, mais d’après l’incroyable succès qu’elle a connu - le public a été ému aux larmes - il n’est pas impossible qu’elle ait été rejouée avant sa publication, tant le public a été conquis.
Je pense. Pour publier sa musique, le fait que ce soit une œuvre qui lui tenait à cœur car elle représente ses nouvelles expérimentations, ce n’est peut-être pas suffisant pour l’imprimer. S’il l’a fait, je veux imaginer qu’il y a eu un succès et un public qui a suivi cette musique.
Propos recueillis par Sébastien Cayet
Carlotta Colombo, soprano - Valentino Buzza, ténor - Anicio Zorzi Giustiniani, ténor - Alexandre Baldo, baryton-basse
Alessandro Urbano, clavecin et direction - Armonia degli Affetti
Programme Nuit Vénitienne :
Biagio Marini, Per ogni sorte d’stromento - sonata seconda a 3
Claudio Monteverdi, Ottavo libro dei Madrigali - Il lamento della Ninfa
Salomone Rossi, Il secondo libro delle sinfonie - Sinfonia IX
Sigismondo d’India, Le musiche a une e due voci, Libro IV - Orfeo
Girolamo Frescobaldi, Canzoni da sonare, ad una, due, tre e quattro voci, Libro I - Canzon prima a 4, sopra
Rugier
Francesco Cavalli, Dall’Ercole amante - Come si beffa Amor
Dario Castello, Sonate concertate in stil moderno, Libro II - Sonata Decima sesta a 4, per stromenti d’arco
Claudio Monteverdi, Ottavo libro dei Madrigali - Il Combattimento di Tancredi e Clorinda