Valère Novarina, magicien du verbe

Publié le 18.03.2016

 


Il écrit le nom de ses personnages comme il les dessine. Pour Valère Novarina, magicien du verbe, «l’écriture sur la page est comme le pressentiment du drame du langage dans l’espace». Sur scène, Le Vivier des noms convoque les énergies de formidables acteurs, parfois rythmées au son de l’accordéon, et invite à pérégriner dans un labyrinthe verbal bourré d’humour, de légèreté, et de gravité aussi. Le jeu des mots fait sens dans un espace pluriel, démultiplié, qui croît au fil de la représentation. Là où la pensée devient aventure. Même si tout vrai langage est incompréhensible, pour reprendre les mots d’Artaud qu’il évoquait cet été au Festival d’Avignon où la pièce a été créée. Partie ensuite en tournée, elle fait aujourd’hui halte au Théâtre Forum Meyrin, deux soirs seulement. Immanquable.

 

Le Vivier des Noms. Pour Valère Novarina, tout commence par un carnet de notes qui s’appelle ainsi. Il y griffonne tous les noms de personnages qui lui passent par la tête. Plusieurs milliers lui sont ainsi venus. Et lorsqu’il n’écrit plus, l’auteur dessine les personnages à l’encre rouge et à l’encre noire. La pièce est un peu née de là, réminiscence aussi de son Drame de la vie (paru en 1984 et créé au Festival d’Avignon deux ans plus tard). «Lorsque j’écris, je suis comme un acteur invisible qui se met au travail avant les autres. L’écriture sur la page est comme le pressentiment du drame du langage dans l’espace. Plus tard, devenu metteur en scène, je suis passé à l’ennemi. Je n’ai plus le contact profond, aveugle, avec la matérialité du texte; je joue avec les énergies diverses qui viennent se croiser, s’assembler se mettre en contradiction dans l’espace: énergies de l’acteur, lignes de force de la pièce, cheminement du spectateur», racontait-il pour présenter sa pièce au dernier Festival d’Avignon. Quant à l’acteur, «comme le moine, c’est un litanique: ânonnement de la mémoire, manducation, incorporation profonde du texte, mangement de la chose écrite, patience – action passive», disait-il.

 

Au commencement était l’Historienne

Le passage du texte au théâtre s’opère avec ses acteurs, formidables, qu’il met donc lui-même en scène. Ici une comédienne, Claire Sermonne, sorte de Madame Loyale japonisante et captivante, incarne l’Historienne, personnage phare de cette incroyable traversée du langage. C’est elle qui lance la mécanique des mots, demandant à Adam d’entrer en scène, écho à une certaine origine du monde, et par là-même du langage. «D’où vient qu’on parle? Que la Viande s’exprime?» lui demande-t-il alors. «La feuille de vigne vous va bien», répond-elle avec humour. Il réplique: «C’est une feuille d’érable. Je suis un Adam du Québec». Voilà qui donne le ton avant qu’elle n’évoque quelques noms tous plus bizarroïdes les uns que les autres: L’Anthropophore, Le Zoographe, L’Acteur de toute viande, La Femme du Plurimoperplexe, L’Enfant de Matagasse, L’Enfant Sextuple, L’Enfant Gymnophysicien, L’Enfant de Parlamus, L’Avaleur Jamais Plus, Valvulcine, Jean Négatif, L’Homme Gymnospiral, Le Pourfendrier Logique, L’Ambulancier Glodon, Le Balestrier Bleu…. Bienvenue dans l’univers de Valère Novarina. Vous en ressortirez médusé après plus de 2 heures de cet ouragan verbal, objet scénique presque non identifiable.

 

 

Pouvoir mystérieux

Vêtu d’un pantalon en lin au ton clair et d’un chapeau de paille, Valère Novarina évoquait la concrétisation du verbe par le théâtre devant les journalistes sous la chaleur d’Avignon. Juste avant que la pierre du Cloître des Carmes ne s’illumine et que la matière textuelle de l’œuvre sur papier ne prenne pour la première fois corps sur scène. «Peut-être que ce soir je vais comprendre la pièce! Le théâtre est un révélateur. Il est révélé par la chair de l’acteur, la matière des lumières, etc…». Et Valère Novarina d’expliquer sa façon de concevoir le texte. Précisément, il en perçoit quatre états: «J’en parle souvent à mes acteurs. Le premier état, c’est quand le texte est uniquement dans votre tête. Il n’a d’existence physique nulle part ailleurs.» Puis l’on passe au deuxième état: «la première lecture, lorsque le texte est porté par la voix des autres. Il apparaît le même et autrement, comme une révélation photographique.» Vient ensuite la troisième étape, lorsque les acteurs quittent la table de travail, font quelques pas et apprivoisent ce qui les entoure. «Le texte est entendu autrement si tout d’un coup l’espace est pris dedans.» Le quatrième «état»? Lorsque le texte est vu par les autres et que Novarina arrive enfin à le comprendre, dit-il. Car pour lui, «le spectacle est aussi quelque chose de mystérieux, comme un buisson de rhododendrons, comme une pierre… Il faut que l’œuvre garde ce pouvoir de mystère, celui de dire les choses sans les dire ou de les dire autrement.»

 

 

«Tout vrai langage est incompréhensible»

Et ce qui ne possède pas de nom n’existe-t-il pas? A cette question, Valère Novarina répondait par les mots des autres. Ceux de Joseph de Maistre, d’abord, citant Les Soirées de Saint-Pétersbourg: «Les hommes parlent rarement à eux-mêmes et jamais aux autres des choses qui n’ont point reçu de nom». Cette phrase est l’une des quatre bornes du champ qu’il laboure depuis quelques années, confiait-il. La première borne étant celle posée par Antonin Artaud, sur qui il rédigea un mémoire, jadis étudiant de philosophie et de philologie à la Sorbonne. «Tout vrai langage est incompréhensible», disait Artaud. Pour Novarina, Saint Paul posa la deuxième: «Rien n’est sans voix». Joseph de Maistre la suivante. La quatrième vient du De Trinitate de Saint Augustin: «Le langage s’entend mais la pensée se voit». Une manière d’énoncer simplement que la pensée est une aventure dans l’espace, qui se plurifie, se démultiplie et croît au cours de la représentation selon Novarina. A vérifier dès mardi sur la scène du Théâtre Forum Meyrin.

 

Cécile Dalla Torre

 

Le Vivier des noms, mardi 22 et mercredi 23 mars à 20h30 au Théâtre Forum Meyrin.

Renseignements et réservations au +41.(0)22.989.34.34 ou sur le site du théâtre www.forum-meyrin.ch