Vernier Culture

Son spectacle Résilience mon cul n’a rien d’un manifeste contre la souffrance ou d’un plaidoyer pour un avenir couleur rose bonbon. C’est un spectacle à la fois doucement drolatique, fuyant, frontal, presque embarrassé d’exister.
ll joue avec les contours du stand-up. Sans jamais chercher à en cocher les cases. L’homme n’endosse pas le costume de l’humoriste, il le froisse doucement, le contorsionne à sa manière, préférant l’errance lucide à la punchline triomphante.
L’artiste parle du yoga, de Dieu, de maternité en panne de feeling. Mais sans jamais chercher à faire consensus. Il effleure, détourne, ouvre des parenthèses qu’il oublie de refermer.
Ce n’est pas l’angoisse qu’il exorcise, mais la facilité des mots qu’on pose dessus. Dans ce dialogue un peu bancal avec le public, quelque chose se tisse : un rapport d’humain à humain, fragile et précieux.
Car derrière la provocation du titre, c’est bien d’humanité qu’il s’agit. Celle qui doute, qui tremble, qui rit pour ne pas pleurer - ou l’inverse. Joël Maillard livre un moment suspendu, inconfortable parfois, mais foncièrement sincère. Un spectacle qui secoue autant qu’il désarme, et qui laisse une drôle de trace : un sourire, un pincement, un éclat.
Et si Joël Maillard évoque la résilience, ce n’est pas pour la nier, mais pour questionner ce qu’elle est devenue: un mot-fétiche souvent vidé de sa substance, un baume magique sur des plaies toujours ouvertes.
«On ne s’aime jamais assez», avance le comédien face public.
Entretien.
Comment est né Résilience mon cul?
Joël Maillard: Le point de départ, c’était une envie: celle d’expérimenter un spectacle à la première personne, en mon nom propre.
L’idée initiale était de s’éloigner partiellement de la fiction, de m’adresser au public comme je le fais ici, de manière directe et sincère.
Ce monologue s’inscrivait davantage dans une forme de stand-up que dans une réflexion autour de la résilience.
Mais, indirectement, il me permettait de revisiter mon rapport à l’écriture.
C’est sans doute la création la plus autofictionnelle, et donc autobiographique, que j’aie réalisée. Elle sert d’outil de dévoilement.
L’interrogation sur le stand-up comme forme scénique s’est imposée peu à peu. J’ai commencé à en déconstruire les codes, à détourner ses mécanismes, parfois même sans l’avoir prémédité.
Ce souvenir me ramène à mes cinq ans. Pour un enfant, un vêlage, c’est un choc : il fait face à un mammifère immense, un moment cru et intense - on est loin de la coccinelle. Ce surgissement de la vie m’a profondément marqué.
Et sauf reconversion improbable comme sage-homme, je ne revivrai pas cela avec un humain. Il y avait là une première confrontation avec la force brute du vivant.
J’avais envie de chanter des pensées ou des situations qui ne pourraient exister que par la chanson.
Un exemple? Cette proposition venue d’un moi futur, qui prône l’euthanasie. Le petit clavier électronique, sorti de la cave, a été un déclencheur: ses fonctions m’ont inspiré, et j’ai compris qu’un spectacle pouvait tenir uniquement avec lui.
D’où cette idée d’un objet scénique nomade, que je pouvais porter sur mon dos. Résilience mon cul renoue aussi avec mes premiers éveils au monde, dans une campagne des années 80. Même si, à l’époque, j’écoutais plutôt Henri Dès.
Je ne saurais dire d’où vient cette idée d’une compensation financière pour ceux qui choisiraient de ne pas peser sur les vivants et sur Gaïa. Mais il me semble difficile de penser l’écologie sans évoquer la démographie, notamment en lien avec les émissions de carbone.
Je m’interroge — sans cynisme mais avec inquiétude — sur la possibilité qu’on en vienne, dans un futur proche, à considérer la réduction volontaire de la population. Et si cela devait devenir une réalité, l’idée d’une prime d’encouragement peut apparaître... logique.
Et sur la vie prolongée?
L’allongement de la vie, rendu possible par les avancées médicales, soulève des enjeux importants: comment accompagner cette longévité? Avec quelles structures, quels personnels? Et que faire face au manque croissant de jeunes actifs? C’est une autre facette d’une tension collective présente et à venir.
Ce qui m’a marqué, c’est cette scène d’inversion absolue: les personnages mangent dans les toilettes et se soulagent à table. Buñuel pousse l’absurde jusqu’à l’extrême, mais sans rompre la cohérence de l’ensemble. Ce renversement de l’ordre établi, ce théâtre de l’absurde, m’inspire.
Je suis sorti de ma zone de confort avec ce spectacle. Tenter de faire rire est inconfortable, parfois angoissant. Et si les blagues et vannes tombent à plat, ce n’est pas toujours un échec: c’est souvent volontaire.
Je ne suis pas humoriste, je n’ai pas de chaîne YouTube, et je n’appartiens pas au milieu du stand-up. Justement, ce décalage m’intéresse.
Et puis, dire «je» sur scène, c’est sans doute l’aspect le plus déroutant. Le Joël Maillard de scène, c’est moi... et ce n’est pas du tout moi. Dans la vie, je suis beaucoup moins ironique et autocritique.
Il m’offre la possibilité d’observer ma manière de bouger sur scène. Avec ma silhouette longue et maigre, mes gestes sont un peu dégingandés. Résilience mon cul me permet d’explorer ce corps maladroit.
Le public voit quelqu’un qui n’est pas un professionnel du rire. Et cela fait sens dans mon parcours. J’ai toujours aimé m’aventurer dans des territoires où je ne maîtrise ni les codes ni la technique - la science-fiction, le conte, la percussion, la chanson à texte, la guitare ou même l’argile.
C’est une forme de dilettantisme que j’assume pleinement, au point d’en faire presque une discipline.
Résilience mon cul
De et avec Joël Maillard
Le 8 mai à la Salle du Lignon, Vernier
Informations et réservations:
https://www.vernier.ch/evenements/resilience-mon-cul
Un spectacle de la saison Vernier Culture