Publié le 30.04.2024
Le chorégraphe français Rachid Ouramdane, continue de repousser les limites de la danse contemporaine avec sa nouvelle pièce Outsider, à l’affiche du 3 au 5 mai du Grand Théâtre de Genève.
Cette création s'inscrit dans la continuité d’explorations précédentes, telles que Tout autour et Murmuration*, où il a examiné la dynamique entre l'individu et le groupe.
La pièce met en mouvement 21 interprètes du Ballet du Grand Théâtre de Genève ainsi que 4 athlètes spécialisés en sports extrêmes, dont Nathan Paulin adepte de la highline **, enrichissant ainsi la performance par des éléments de risque physique et de confrontation avec l'extrême.
Au plateau, un quatuor de pianos passe les compositions minimalistes en insurrection signées du génial compositeur devenu une icône afro queer, Julius Eastmann. Il est mort dans la misère à 49 ans et en manque de reconnaissance. On entend Gay Guerrilla parfois voisin de Philip Glass et Evil Nigger au rythme hypnotique, incroyablement fluide et dansant.
Cette création se distingue également par son interaction avec l'œuvre de Julius Eastman, compositeur révolutionnaire de la musique minimaliste, dont les compositions provocatrices et répétitives ajoutent une dimension sonore captivante. La pièce se déploie au cœur d’une scénographie où la lumière et l'espace sculptent visuellement les thèmes de la fragilité, du risque et du dépassement.
Le mouvement est convoqué pour explorer la condition humaine, reflétant la complexité des interactions sociales et individuelles dans un univers en mutation, utilisant la danse pour questionner les fondements de notre existence. Ainsi, Rachid Ouramdane affirme son engagement envers une danse qui va au-delà de l'esthétique traditionnelle, pour toucher à des questions sociétales et existentielles. Rencontre.
Vous travaillez sur l’aérien, la chute et la communauté.
Rachid Ouramdane: Même si le traitement chorégraphique est différent, il s’agit d’une recherche qui s’inscrit dans la veine d’une autre de mes pièces, Corps extrêmes (2021) si ancrée dans la nature. Mes spectacles produits s’ancrent d’ailleurs souvent dans une réalité, un environnement fort. J’ai aussi créé de pièces en lien avec un réel social, celui des mineurs isolés pour Franchir la nuit en 2018.
Je travaille intensément un rapport à l’aérien pour nombre de mes derniers spectacles. Que ce soient des acrobates, des highliners ou des funambules. La pratique de la highline permet ainsi de favoriser une heureuse convergence entre les disciplines afin de poursuivre une exploration de chorégraphie aérienne singulièrement pour des corps de ballet, de grands ensembles qui m’est chère.
Cette pratique sied parfaitement aux grands groupes de danseurs et danseuses.
Les interprètes évoluent par nuées. Ou plutôt précisément par murmuration, un terme que j’aime à convoquer pour mes créations chorégraphiques.
Ces murmurations se retrouvent dans les bancs de poissons, chez les abeilles, les groupes d’arbres et au sein des vols d’étourneaux. Soit un ballet de centaines d’oiseaux, dense, chaotique en apparence, mais en réalité hautement réglé.
Les murmurations sont fascinantes et nous appellent. Ce qui m’intéresse dans ce phénomène? Cette manière d’être continument en mouvement par Hordes. Si ce mouvement collectif peut apparaître anarchique à un regard distrait, , il se révèle profondément harmonieux à mes yeux.
J’inscris toujours plus mes pièces en extérieur, dans un rapport multiforme aux éléments et environnements. Il est des paysages et de chemins fréquentés quotidiennement et que l’on a donc l’habitude de voir. Si l’on connait nos villes et montagnes, une présence incongrue, inhabituelle est ici créée dans Outsider.
Dès lors, l’on commence à voir le paysage différemment. Cela ressemble à la poétique des Ailes du désir de Wim Wenders. Avec ces anges posés ici et là sur l’architecture berlinoise pour y favoriser la naissance d’un regard nouveau sur une Cité que l’on croyait trop bien connaître.
Il existe quelque chose de cet ordre au fil d’Outsider, pièce invitant non à un regard contemplatif sur les paysages, mais la scénographie telle qu’elle est pensée, nous reverra, une fois de plus, à cette fragilité et vulnérabilité des corps.
Nous développons une gestuelle éminemment acrobatique et aérienne. Dans ce dessein, je me faits accompagner par des acrobates avec lesquels je collabore de longue date. Que l’on songe à Corps extrêmes ou au spectacle Möbius en compagnie du Collectif XY ***.
En effet, Outsider s’axe sur le dialogue entre ces corps sportifs marchant entre ciel - ou cintres - et terre avec d’autres jaillissant du sol pour mieux bondir dans les airs.
Au cœur d’une danse aérienne, nous découvrons des corps tentant de s’appréhender mutuellement, de prendre soin les un.es des autres afin de créer ce mouvement harmonieux au plateau.
Je pense qu’il existe un élément traversant l’ensemble de mes pièces, c’est la vulnérabilité des êtres. Dès lors, je me suis souvent intéressé aux personnes ayant des fragilités en elles. À mon sens, la fragilité ne serait être synonyme de faiblesse.
Au contraire, la fragilité n’est-elle pas ce dont nous sommes pétris? Dès lors que l’on sait regarder ces fragilités et vulnérabilités, elles peuvent en devenir des forces. L’on y trouve des formes tant de résilience que de dépassement de soi.
Oui. Le travail chorégraphique se déploie dans un sentiment et un vécu emprunts d’humilité. Ainsi, le dépassement de soi est-il une plongée dans ses ressources intérieures. Ceci pour initier et accomplir des réalisations que l’on ne pouvait penser de soi-même par le passé.
Sur l’œuvre terriblement engagée et intense de Julius Eastmann.La musique du compositeur, musicien et chanteur américain a été le point d’entrée, collaborant régulièrement depuis plus de vingt ans avec un compositeur français, Jean-Baptiste Julien. S’inscrivant dans une tradition de musique répétitive, cet artiste m’a fait découvrir relativement récemment l’œuvre de Julius Eastmann. Avant d’être en partie redécouvert ces dernières années, il sombra dans l’oubli, masqué par d’autres figures de la musique minimaliste américaine. Il s’agit réellement d’une musique idéale pour la danse au plateau. À propos de la dimension sociale et revendicative d’Eastmann qui affirmait ces différences aussi comme Noir américain gay, elle rejoint ce que je défends au quotidien dans le cadre d’un Théâtre des diversités ****, le désir de reconnaître les personnes, au-delà de toutes nos différences.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet