Galerie virtuose de portraits
Avec son seul en scène, Un Soir de Gala, adoubé par un Molière en 2022, à l’affiche du Théâtre du Forum de Meyrin le 3 décembre, cet acteur, auteur, humoriste, et ancien chroniqueur radio et tv, orchestre une fresque humaine où rires et larmes se croisent dans une chorégraphie savamment désordonnée.
En compagnie d’un immense piano noir qui restera mutique, l’homme compose une galerie de portraits où chaque personnage inventé, même caricatural, dit beaucoup de nos travers, de nos solitudes.
Après avoir déboulé en tenue d’Adam pour son premier spectacle solo au rythme trépident, S’il se passe quelque chose (2014), l’acteur est riche de quatorze pièces (Molière, Marivaux, Ovide, Labiche...) et autant de fims au compteur.
En costume de soirée, Vincent Dedienne, percutant et attachant, s’amuse avec les archétypes sociaux, croisant l’héritage d’un théâtre de l’Absurde. L’homme en a retenu que, tapi derrière l’humour, il y a toujours une vérité plus profonde qui sommeille.
Au plateau, l’artiste incarne avec brio une grande bourgeoise bordelaise esseulée et confite dans l’ennui, une enfant psychopathe réglant ses comptes avec ses géniteurs, une comédienne plaignant la misère de la planète tout en étant top model pour des marques luxueuses ou encore un journaliste toxique.
Tout du long du spectacle, le comédien histrion cultive cet art de musarder en lisière d’ironie foutraque et décalée qui ravit dans la série, Les Amateurs, comédie d’espionnage burlesque qu’il interprète au côté de François Damiens.
Sa capacité à jongler entre l’absurde, le tragique et le caustique s’enracine dans une observation aiguë des comportements humains.Ne faut-il pas aimer profondément les gens pour réussir à se moquer d’eux sans les trahir?
Cet équilibre, entre une empathie viscérale et une plume acérée trempée à l’autodérision, fait de Un Soir de Gala bien plus qu’un spectacle comique, un véritable arpentage inspiré de la condition humaine.
Entretien.
À l’écriture et pour la mise en scène d’Un Soir de gala, vous collaborez avec Juliette Chaigneau. Elle tourne avec le spectacle France Anodine - la radio des petites choses. Vous vous y retrouvez comme ex-chroniqueur de la matinale sur France Inter et votre seul en scène?
Oui. Nous avons en commun avec Juliette le fait de s’intéresser «aux petites choses, qu’on se mettrait à regarder de très très près. De si près qu’elles en deviendraient presque abstraites», selon le teaser de France Anodine.
Lorsque nous nous sommes vu jouer sur scène pour la première fois, nous nous sommes reconnus.
Au plateau, Juliette peut jouer de toutes petites choses infimes, quasiment invisibles pour la plupart des gens. Elle m’a alors confié que je lui avais fait le même effet. C’est bien d’échapper un peu au regard générique qui nous plaît à elle et moi.
Dotée d’un regard biscornu, elle est la plus concrète d’entre nous. Et pourtant la plus décalée. Pour moi, Mélanie, c’est un peu Valérie Lemercier.
Qu’est-ce qui vous relie à Juliette Chaigneau et Mélanie Lemoine?Simplement, l’amitié et la joie de travailler ensemble avec ses amies et sœurs en écriture. Celle aussi de se faire rire. Je suis toujours intéressé par ce qu’elles pensent, font et deviennent.
Se connaissant mutuellement depuis longtemps, nous nous sommes vu grandir et vieillir. Nous sommes toujours passionnés par l’Autre. Ainsi se scelle notre fidélité.
Je songe à la comédie dramatique à l’humour désespéré et aux dialogues profonds, Les Invasions barbares signée Denys Arcand. Il y a la scène incroyable que j’adore, où le personnage principal réunit tous ses amis autour de lui pour faire ses adieux.
Cela m’a toujours touché, l’image de cette communauté, voire de ce club reformé, pour cette occasion particulière, pour dire au revoir à l’un de ses membres. Ou l’aspiration d’une mort maîtrisée et organisée entre soi.
Oui. Cela vient de ce que j’ai pu observer et glaner comme impressions et réalités dans mon activité de chroniqueur à la Matinale de France Inter.
Alors que l’émission débutait fort tôt le matin, que j’étais encore un peu endormi et que Paris n’était encore guère éveillée, je m’étonnais de cette effervescence folle régnant dans le studio.
On aurait dit qu’il était 20h30. Comme si l’équipe avait déjà pris quatorze lignes de coke.
Rien de plus normal tant la tranche de la Matinale est celle du prime time en radio. Face l’info alors que le monde dormait encore, ces gens-là à l’image de cette figure de journaliste imaginaire étaient suragités et survitaminés à l’actu.
Ce personnage est complètement surgi de mon observation de cette atmosphère.
Peut-être... Mais plus précisément, jusque dans mes chroniques radio et tv*, il m’a toujours paru plus pertinent de tourner en ridicule les personnes qui ont le pouvoir.
L’abus de pouvoir est précisément ce qui me rend fou dans la vie de tous les jours.
Étant souvent trop lâche pour m’y opposer, j’écris sur cette thématique des abus de pouvoir. À mes yeux, c’est éminemment croustillant en termes de situations, d’humour et de cruauté.
Au final, il est assez jubilatoire, si ce n’est jouissif, de jouer l’abus de pouvoir.
Je songe plutôt à la scène originelle, spectrale et mystérieuse du bal de S. Thala dans le roman de Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein. Correspondant à un bonheur absolu, indicible, le bal de la nuit est au centre de la vie de l’héroïne, mêlant le passé, le présent et le futur.
J’ai pensé que le décor pouvait ainsi ressembler à une salle de bal quelque peu intimidante, scandée d’un piano, d’une boule à facettes, des lumières, et le plateau vide.
Oui. Il semble naturel que pour ces personnages tout tourne autour de leurs inquiétudes et de leur mal-être. Ils sont tous un peu malades et maladroits, mal dans leur peau et pas bien fréquentables.
Si Zouc que j’aime beaucoup a fait un spectacle intitulé L’Alboum de Zouc, j’aurais pu appeler le mien, L’Abile, au plan de l’humeur.
Un Soir de Gala
Vincent Dedienne
Mardi 3 décembre au Théâtre du Forum de Meyrin
Informations, réservations:
https://www.meyrinculture.ch/activites/un-soir-de-gala
Un spectacle de la saison Meyrin Culture