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La Finlande acrobatique et drolatique

Publié le 14.01.2025

Bienvenue dans Mad in Finland, une odyssée circassienne enivrante où huit artistes finlandaises réinventent leur pays avec humour, poésie et une énergie débordante.

A savourer dès 6 ans au Théâtre Am Stram Gram (Genève), du 17 au 26 janvier.

Sur scène, les circassiennes transforment les clichés culturels en numéros éclatants mêlant acrobaties aériennes, danse sur fil, et burlesque.

Dans un univers où le froid mordant des nuits polaires rencontre la chaleur réconfortante du sauna, elles nous livrent une Finlande tout à la fois imaginaire et réaliste, empreinte de magie et de tendresse, où chaque tableau célèbre la vie et la complicité féminine.

Les artistes réinterprètent leur pays à travers des thématiques comme le saut à ski, les forêts sauvages ou la génération Nokia.

Jonglant entre satire et tendresse, elles déconstruisent avec humour les clichés sur leur culture et questionnent les stéréotypes liés à la féminité.

Entretien avec les artistes Elice Abonce Muhonen et Heini Koskinen.



Comme est né Mad In Finland?

Elice Abonce Muhonen: Ce spectacle est né en avril 2012 dans le cadre du festival Tant qu'il y aura des Mouettes organisé par la compagnie circassienne française, Galapiat Cirque.

Je suis d’ailleurs l’une des artistes fondatrices de cette compagnie qui a vu le jour en Bretagne en 2006. Et j’ai bénéficié d’une carte blanche pour créer un spectacle sous chapiteau, contactant mes copines finlandaise acrobates et circassiennes pour une création autour de la Finlande.

Mad in Finland est le fruit d’échanges mails entre sept artistes finlandaises de cirque suivie de répétitions sur neuf jours. Nous pensions alors à une seule et unique représentation.

Ensuite une première programmatrice a souhaité l’agender dans un festival. Depuis il y a eu un extraordinaire engouement public.

Et ce spectacle a beaucoup tourné.



Comment envisagez-vous le rire dans ce spectacle?

Je pense que le fait de rire seule (parfois de soi) et avec les autres est la plus grande force que l’on peut avoir. Ou comment prendre la vie avec joie.

Tout le spectacle est reçu comme très drôle par le public.

Il y a aussi une nostalgie de la forêt.

Oui. Jusque dans sa présence dans certaines villes finlandaises, la forêt fait réellement partie d’un paysage quotidien. J’ai l’impression que cette forêt parfois silencieuse est un endroit pour se ressourcer. On dit souvent que les Finlandais et les Finlandaises sont très proches de la nature. C’est parfaitement vrai.

En France, il est assez rare de traverser des forêts où l’on n’entend pas le bruit du trafic routier, par exemple.

Au fil d’un tableau, vous évoquez évoquant la perte de la Province du Karjala en 1944.

À l’image de mes grands-parents originaires du Karjala, nous avons toutes et tous entendu parler de cet exil forcé en Finlande. C’est un événement qui fait partie de notre histoire finlandaise.

C’est un thème parmi les autres abordés dans le spectacle. Il touche à ce qu’est notre pays, son identité.

Vous avez réalisé un film documentaire sur ce spectacle également intitulé Mad in Finland. Il y a une séquence où les interprètes féminines frappent des souches d’arbres dans une forêt à l’aide de haches.

C’est un épisode qui se veut résolument burlesque.

À l’écran, l’on voit très bien que ces femmes s’en prennent à des buches avec des masques de Père Noël en papier. Derrière la légende du Père Noël, il y a toute l’histoire de l’image d’une figure joviale masculine habillée en rouge qui s’est imposée avec la publicité Coca-Cola alors que ce personnage a bien d’autres représentations.

Ce geste, de fendre des souches d’arbres à la racine, est aussi une manière de couper symboliquement avec une histoire des représentations essentiellement masculines.

Il faut rappeler par ailleurs que la Finlande a été le premier pays en Europe à accorder le droit de vote aux femmes en 1906.





Vous faites du trapèze et de la suspension par les cheveux.

Pour les deux disciplines, c’est une question d’entraînement.

J’ai débuté le cirque à Lahti (Finlande) avant de me spécialiser dans le trapèze en Suède. Et d’entrer au Centre national des arts du cirque (Châlons-en-Champagne, France). À force de pratiquer le trapèze, vous n’avez plus mal aux mains lorsque vous prenez la barre.

Avec Sanja Kosonen, une fildefériste membre du Galapiat Cirque, nous avons créé Capilotractées (2013) et Attraction Capillaire (2018), un duo aérien. Ces deux spectacles se basent sur une technique ancienne du cirque forain, celle de la suspension par les cheveux ou capilotraction.

Nous l’avons découverte hors d’une école. C’est drôle, léger et poétique. Là aussi, il faut beaucoup répéter pour que le corps se forme sur mesure.

Comment avez-vous découvert la discipline acrobatique exigeante du tissu aérien?

Heini Koskinen: À vrai dire, la rencontre avec cette pratique artistique basée notamment sur l’appréhension du vide s’est déroulée à travers une Ecole de cirque à Lahti (Finlande) en 2001.

C’est ma collègue, Elice Abonce Muhonen, qui m’a appris les premiers nœuds à réaliser pour le tissu aérien. Disons aussi qu’au quotidien j’adore faire des nœuds à toutes les échelles appréciant le tricot.

C’est une forme de chorégraphie suspendue. Elle exige une longue préparation.

Il faut être dans un bon état physique tant cette pratique mobilise intensément les bras et les doigts pour tenir le tissu. Il est nécessaire d’utiliser le corps dans son entier.

Je suis amenée à faire des clés avec mes côtes, le bassin, le ventre, les pieds, par exemple. C’est la mémoire du corps sans le cerveau, la pratique quotidienne de l’équilibre qui permettent de rattraper le bon déroulement d’une chute le long du tissu.

J’aime le rapport au vide, au risque.

Vous êtes aussi musicienne.


La musicalité fait partie intégrante de mon travail sur tous les plans.

Je pratique le violon depuis l’âge de cinq ans. La question du rythme est ici essentielle, la musique aidant à aller plus loin dans le mouvement. C’est précieux pour trouver le bon tempo, l’élan juste afin de pouvoir remonter le corps plus haut dans l’espace. Le rythme associé à la musicalité donne davantage de liberté.

Cela m’envahit et me porte littéralement, ce qui est fondamental pour être plus précise et légère. Au début de Mad in Finland, nous interprétons une chanson à plusieurs voix féminines du groupe finnois Värttina bien connu à l’international.

Depuis les débuts, la musique fait partie de l’art circassien avec un notamment dans ce spectacle un titre d’inspiration punk.

Pour vous, le rapport au public d’enfants est important.


J’ai participé à des spectacles donnés dans des camps de réfugié.e.s au Sri Lanka et des orphelinats en Estonie, avec l’association humanitaire Les Clowns Sans Frontières.

Au-delà de pouvoir s’émerveiller, le rire est une liberté fondamentale à défendre pour l’enfance. On peut parler du rire d’être ensemble, le rire du comique, le rire issu d’une liberté de ton ou de la surprise dans Mad in Finland. Il n’en reste pas moins que le rire est une liberté et un droit humain pour l’enfant.

Dans mon parcours, j’ai ainsi collaboré à Trippo, un spectacle pour les dès 3 ans créé par la plus ancienne compagnie finlandaise de nouveau cirque, Circo Aereo. Les figures humoristiques y remontent à l’enfance avec des marionnettes, de la pantomime et de l’acrobatie.





Quelle est votre approche de la chute?

En réalité, dans ma pratique acrobatique et circassienne, la chute est presque contre-nature. Je suis accrochée à mon tissu. Le fait de tenir et donc de pas lâcher est profondément ancré dans mon corps. Si je lâche prise, les conséquences peuvent être mortelles.


Sur scène, les interprètes incarnent une communauté de bûcheronnes au détour d’une séquence.

Il s’agit dans le spectacle Mad In Finland de réviser et relire des mythes, images et réalités de notre pays natal. Du sauna à la génération Nokia en passant par le saut à ski notamment.

Toutes les artistes du spectacle ont quitté leur patrie, dont elles ont gardé une profonde nostalgie. Il y ainsi beaucoup d’humour, y compris sarcastique, dans cet exercice de détourner et de refigurer certains clichés associés à un pays.


Comment résonne l’une des sources d’inspiration du spectacle, le récit Les Sept frères d’Aleksis Kivi pistant dans la campagne finlandaise au 19e siècle, des frères orphelins turbulents qui choisissent la vie sauvage?

Ce livre passe pour le premier roman écrit en finnois, où il est célèbre.

La Finlande est un pays jeune qui a connu son indépendance en 1917. À une certaine époque, beaucoup de personnes habitaient avec peu de moyens au milieu de la nature. Comme les frères combattant les ours et bâtissant leur maison à la hache.

À la création de Mad in Finland, nous nous sommes rendu compte que nous étions sept femmes fortes physiquement.

Nous étions aussi des bâtisseuses, ayant construit un sauna dans une caravane. Pour chauffer le sauna, l’on a besoin de bois qu’il faut savoir couper. Cet épisode des bûcheronnes du spectacle vient ainsi du concret.

Sur l’état d’esprit initial de Mad in Finland?

Ce spectacle est né il y a treize ans, bien avant le mouvement et la vague MeToo.Nous avons l’avons imaginée et créé dans un esprit libre et joyeux. Entre copines. Pour Mad in Finland, Il s’agit d’explorer une Finlande imaginaire, réinventée, où la «dépression finlandaise» peut être magique.

C’est fait avec beaucoup d’énergie, d’amour et d’humour pour poursuivre notre passion du cirque. Dans une scène, nous sommes des bûcheronnes qui fendons de grosses bûches. À la création en France, nous ne nous sommes pas dit que nous luttions ainsi contre le patriarcat, la violence et le sexisme, au demeurant bien réels, touchant les femmes en Finlande et ailleurs.

Aujourd’hui avec huit femmes, la chanteuse Teija Sotikoff, étant entrée dans notre groupe, une question nous est souvent adressée: «Est-ce un spectacle féminin voire féministe?» En revanche, si des hommes se réunissent pour créer une réalisation scénique, la question du genre (masculin, féminin…) n’est pas forcément la première à se poser.

Propos recueillis par Pierre Siméon


Mad in Finland
Du 17 au 26 janvier 2025 au Théâtre Am Stram Gram, Genève

Tous publics, dès 6 ans

Collectif MAD - Galapiat Cirque


Informations, réservations:
https://www.amstramgram.ch/fr/programme/mad-in-finland


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