Trois violons pour un solo avec Chouchane Siranossian

Elle découvre la musique ancienne alors qu’elle est violon solo de l’Orchestre Symphonique de Saint-Gall. Elle décide de quitter son poste pour suivre un nouveau chemin. Depuis, elle pratique la musique dans sa totalité, embrassant avec enthousiasme tout le spectre de création musicale.
Elle joue en soliste aussi bien en baroque qu’en moderne, avec des artistes tels que Bertrand Chamayou, Leonardo García Alarcón ou Christophe Rousset et travaille également à la création de nouvelles œuvres avec des compositeurs comme Éric Tanguy, Benjamin Attahir et Thomas Demenga.
À l’occasion des Concerts d’été à Saint-Germain, où elle est invitée pour un récital en solo, Chouchane Siranossian nous dévoile son parcours de violoniste polyvalente.
Vous vous êtes tournée vers la musique ancienne relativement tardivement, à 25 ans. Quel a été ce tournant dans votre carrière?
Chouchane Siranossian: Ma formation est, au départ, tout à fait « classique » ; j'ai étudié le violon moderne chez Tibor Varga et Zakhar Bron. J’avais même le poste de violon solo de l’Orchestre Symphonique de Saint-Gall.
Puis, grâce à David Stern - chef principal de Saint-Gall et fils d’Isaac Stern - j’ai fait la rencontre de Reinhard Goebel, qui a été décisive. J’ai quitté mon poste et j’ai étudié la musique ancienne à ses côtés. Cela a complètement remis en question ma manière de faire de la musique.
J'ai vraiment tout arrêté et pendant un an, j'ai fait uniquement de la musicologie avec Goebel. C'est seulement après que je me suis remise au violon baroque. J'ai eu le courage de tout remettre à plat et de me remettre en question en permanence.
Au début, je pensais arrêter le violon moderne pour ne faire que du baroque, mais finalement, je continue les deux.
Mon professeur de violon baroque m'a dit : "Chouchane, montre que c'est possible de faire les deux". Pour mon premier CD solo, j’envisageais d’enregistrer uniquement des œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles, mais il m'a conseillé d’inclure des œuvres plus tardives. J'ai alors également travaillé avec des compositeurs qui ont écrit pour moi. C'est ce qui a lancé ma carrière.
De plus en plus de violonistes font les deux, comme Isabelle Faust ou Ilya Gringolts. L'époque où l'on devait choisir est révolue. C'est dommage de créer un fossé, je suis pour créer un pont entre musiques ancienne et moderne, car au fond, cela reste la musique.
Totalement. La musique ancienne est une philosophie qui consiste à oser se remettre en question en permanence. Quand on le fait pour la musique ancienne, on commence aussi à le faire pour les musiques plus modernes.
En baroque, on observe l'énorme évolution de la technique du violon. Par exemple, le vibrato tel qu’il est utilisé aujourd'hui est apparu dans les années 1920-1930. L'expression se faisait plus par la main droite que par la main gauche. Léopold Auer, en 1921, décrivait le vibrato de certains de ses élèves comme une "nouvelle maladie". Tchaïkovski, qui a écrit son concerto pour violon pour Auer, ne pensait donc pas forcément qu'il serait joué avec beaucoup de vibrato. C'est une remise en question énorme
Il y a aussi les techniques d'improvisation. Tous les violonistes auparavant étaient capables de composer et d'improviser. D’ailleurs, les cadences de concertos n’étaient pas écrites. Aujourd'hui, les compositeurs, les improvisateurs et les instrumentistes sont des artistes différents, mais avant, tout était lié.
La musique baroque m'a permis de développer des connexions pour l'improvisation et la liberté d'interprétation, parfois perdues en moderne où l'on apprend à jouer exactement ce qui est dans la partition sans questionner la méthode.
J’ai voulu retracer un voyage au cours du temps et de l’évolution du violon. Je commence avec Biber donc au XVIIe siècle, puis Tartini et la Chaconne de Bach. Il y aura du Paganini sur cordes en boyau aussi, du Ysaÿe et une pièce contemporaine.
Pour ce programme, j’aurai trois violons et cinq archets différents pour une meilleure authenticité. Idéalement, il me faudrait même un quatrième violon, mais il faut parfois se limiter.
Non, la pièce de Biber que je jouerai sera la Passacaille des Sonates du Rosaire, et c’est justement celle qui ne nécessite pas de scordatura. Le premier violon sera dédié au répertoire du XVIIe siècle, le deuxième violon pour le XIXe et un troisième pour le contemporain. Les archets, eux, correspondent à différentes époques également. Je suis passée par une phase de test pour déterminer lesquels correspondaient le mieux aux œuvres du programme.
Dans le programme, on retrouve même un de vos arrangements personnels de Tartini. Cette œuvre était-elle prévue dans le programme initial?Je devais jouer Les Trilles du Diable avec Rosalía Gómez Lasheras, lorsque ce concert était prévu avec clavecin. C’est une pièce que j’aime beaucoup et que je m’étais déjà amusée à arranger pour violon seul en incluant l’harmonie dans la partie soliste. Je l’ai déjà jouée en concert, j’avais très envie de la garder, sous une forme ou une autre.
Ce qui est intéressant avec Tartini, c’est que la figure du trille du diable était si unique et nouvelle que Léopold Mozart, dans son livre, en décrit la manière de l’exécuter. L’école de Léopold Mozart s’inspire de celle de Tartini.
L’échange entre compositeur et interprète est très enrichissant. Après tout, c’est comme un retour à ce qui se faisait à l’époque: si on regarde par exemple Joseph Joachim ou Ferdinand David, respectivement dédicataires des concertos de Brahms et Mendelssohn... C'est évident qu’il y a une grande influence les uns sur les autres.
Le compositeur David Chappuis a écrit, pour moi, Carmina, une nouvelle œuvre dont je jouerai un extrait lors des concerts à Saint-Germain. Nous sommes passés par cette phase d’échange ensemble, notamment à propos des différentes techniques du violon qui puissent être utilisées. Cette relation entre compositeur et interprète est essentielle pour la création musicale.
Chouchane Siranossian
Récital solo les 24 et 25 août 2025 à l'Eglise Saint-Germain, Genève
Dans le cadre des Concerts d'été à St-Germain
Programme:
Heinrich Ignaz Franz Biber, Passacaglia
Giuseppe Tartini, Sonate en sol mineur Trille du diable arrangé pour violon seul
Johann Stamitz, Divertimento I Duo pour un violon
Niccolo Paganini, Caprice N° 24
Eugene Ysaÿe, Sonate N° 3, Ballade
David Chappuis, Carmina
J. S. Bach, Partita n° 2 en ré mineur, Ciaconna
Plus d'informations:
https://www.concertstgermain.ch