Découvertes et émotions à La Bâtie
À chaque rentrée, le festival de La Bâtie sert de lien entre la fièvre des festivals d’été et l’effervescence de la nouvelle saison théâtrale. Marqueur temporel et culturel depuis 41 éditions, le Festival de La Bâtie innonde septembre de découvertes théâtrales, musicales et dansantes pour un public curieux et passionné, et surtout avides de nouvelles expériences artistiques.
À l’affût des nouveautés, la programmation mélange talents confirmés et prometteurs. Du côté des valeurs sûres, le pionnier John Cale, un des fondateurs du Velvet Underground et collaborateur de Patti Smith ou Brian Eno, ouvre les festivités le 1er septembre à l’Alhambra. Stephan Eicher viendra le 16 septembre présenter son nouveau projet "Die Polstergruppe" avec son complice Simon Baumann lors d’une soirée et d’une nuit inédite où des animations sont prévues dans le Lieu Central (Salle Communale de Plainpalais) jusqu’au lever du jour…
Du 1er au 16 septembre, ce sont 45 spectacles et performances qui se dérouleront dans une trentaine de lieux genevois et de France voisine. Cette année bénéficie d'une belle programmation destinée aux plus jeunes, avec notamment l'ambitieuse Encyclopédie de la parole présentée au Théâtre Pitoëff les 9 et 10 septembre (dès 6 ans). Après dix ans à la programmation, dont six avec son complice musical Philippe Pellaud, Alya Stürenburg Rossi nous présente son dernier festival, avant de passer la main à Claude Ratzé, actuel directeur de l’ADC.
Quels ont été pour vous les moments forts de votre mandat?
Je retiens deux grands changements. D’abord, l'augmentation des co-productions locales et internationales. Cette année, presque la moitié des spectacles sont co-produits, c'est une vraie confiance donnée aux artistes puisqu’il s’agit de soutenir un sujet avant qu’il n’existe. Nous avons ainsi développé et organisé un réseau de co-producteurs afin de faire circuler les spectacles. L’effet a été le rayonnement du festival à l’étranger, cela lui a donné une vraie place sur l’échiquier culturel européen. La Bâtie fait maintenant partie des festivals important en Europe. La deuxième évolution a été de rendre concret le décloisonnement artistique, en abandonnant la catégorisation théâtre/danse/musique dans notre communication. Les spectacles sont de plus en plus hybrides, avec un mélange des disciplines, et cela devenait absurde de continuer les appellations d’origine. Le public a d’ailleurs très bien suivi l'évolution des arts de la scène.
Quelles sont les figures internationales que vous êtes fière d’avoir fait venir à Genève?
Genève est une ville internationale et multiculturelle, je pense que La Bâtie peut être un des lieux qui en est le reflet. J’ai à coeur de proposer des choses qui n’ont pas encore été montrées à Genève, une sorte de photographie instantanée de la création contemporaine en Europe à un instant T. Cette année nous accueillons par exemple Eisa Jocson, une chorégraphe philippine qui s'est intéressée à la fuite des danseurs dans son pays qui ont préféré être engagés dans le parc d’attraction que Disney a ouvert à Hong Kong. Elle a voulu rendre compte de cette perte de talents dans Your highness (les 5 et 6 septembre à la Salle du Lignon). C'est une ouverture sur des réalités du monde dont on n'est pas forcément conscient en Europe. Nous avons aussi Mathilde Monnier qui a travaillé avec Alan Pauls pour écrire une version contemporaine du Bal qui a été une œuvre emblématique dans les années 80 et qui retrace l'histoire de la France à travers celle de la danse de salon. Cette reprise, El baile, est interprétée par une jeune troupe de danseurs argentins très dynamiques (2 et 3 septembre à la Comédie). Je suis aussi fière d'accueillir Bacchantes (2 et 3 septembre au théâtre Am Stram Gram) de Marlene Monteiro Freitas. Elle part du principe que tous les muscles du corps participent à la danse, y compris ceux du visage. Ce spectacle est extrêmement énergique, avec des trompettistes qui assurent toute la partition musicale en live, et expressif, il est très beau plastiquement. Je l'ai vu à Lisbonne et la salle s'est levée comme un seul homme à la fin pour applaudir, comme galvanisée par la représentation.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la salle communale de Plainpalais qui a été promulguée Lieu central?
Cette année, nous avons décidé d’utiliser la grande salle pour ce qu’elle est, c'est à dire complètement nue avec la verrière, afin d’en montrer la majesté. Plusieurs spectacles ont été prévus pour cette configuration, dont ceux de Ruth Childs qui a travaillé avec sa tante Lucinda. Il y aura aussi un concert du pianiste genevois Marc Perrenoud (le 10 septembre), et le projet de Stephan Eicher. Le concert commencera à 21h00 et se prolongera très tard dans la nuit, plusieurs animations seront proposées et le public pourra circuler dans la maison, jusqu’au petit-déjeuner vers 4h00.
Cette année, le festival offre une vitrine à deux invités, qu’est-ce qui vous touche dans leur travail respectif?
Depuis que j'ai commencé, le festival invite chaque année un artiste dont nous présentons plusieurs facettes du travail afin de le faire connaître du public. Après John Adams qui est une figure internationale, j'ai voulu présenter la compagnie d’Oscar Gómez Mata, l’Alakran, qui sont des gens d'ici. À l'occasion de leur 20 ans, ils proposent Le Direktor qui est tiré du film éponyme de Lars von Trier, une satire sur le monde du travail. Il y a une superbe distribution, on est vraiment dans le plaisir du jeu au théâtre. Du 13 au 16 septembre, la compagnie fêtera ses 20 ans avec des performances, des rencontres et plein d’événements avec des amis artistes au Centre d’Art Contemporain.
Mohamed El Khatib, quant à lui, n’est pas du tout connu ici et a un parcours très particulier. Il était destiné à être footballeur et une blessure l'a empêché de continuer. Il a étudié les science politiques et la sociologie et on voit que sa formation lui a donné un regard très politisé sur le monde. Il est auteur, metteur en scène et comédien, et il croit sincèrement que le théâtre peut changer la vie des gens. Il s'intéresse à eux et invite des amateurs sur scène, comme c’est le cas dans Moi, Corinne Dadat (6 et 7 septembre, Salle des Eaux-Vives). Elle est femme de ménage et incarne à elle seule une histoire du prolétariat français. C'est une histoire extrêmement touchante, pas du tout complaisante, Mohamed El Khatib se mettant lui-même en scène et ne s'épargnant pas. Il n’est pas dans un théâtre voyeur mais touche profondément, comme quand il raconte son chagrin à la mort de sa mère dans Finir en beauté (14-16 septembre au Grütli). Nous aurons aussi un projet exceptionnel, présenté en avant-première: les 8 et 9 septembre, Mohamed El Khatib rencontrera le cinéaste Alain Cavalier. 50 ans les séparent, mais ils vont confronter leurs parcours sur la scène du théâtre du Loup et converser sur les rêves.
Pensez-vous, avec Mohamed El Khatib, que le théâtre peut changer la vie des gens?
Je ne peux pas parler pour tout le monde mais il est évident que le théâtre a passablement changé ma vie! Le théâtre est un miroir, il y a des spectacles qui font changer notre regard sur le monde, qui nous amènent un autre point de vue, ouvrent une porte de réflexion. On peut être touché à des endroits qu'on ignorait ou qu'on n'avait pas envie de connaître. C'est nécessaire de voir différents objets, que l'on peut aimer ou non, être intrigué ou irrité… ces sensations sont beaucoup plus importantes que de ne rien ressentir.
Propos recueillis par Marie-Sophie Péclard.
La Bâtie – Festival de Genève 2017 du 1er au 16 septembre dans divers lieux dans Genève.
Renseignements et réservations au +41.22.738.19.19 ou sur le site du festival www.batie.ch