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Haïku et musique contemporaine

Publié le 15.10.2017

 

L’ensemble Contrechamps vous convie à une soirée de concert Made in Japan le mardi 17 octobre au Studio Ernest-Ansermet à Genève. Dans ce programme exceptionnel, les compositions de Steven Daverson et de Karlheinz Stockhausen feront écho à leur source d’inspiration commune, la musique traditionnelle japonaise, des honkyoku, compositions du 17ème siècle pour les flûtes japonaises shakuhachi. Wolfgang Hessler, un des maîtres actuels de cet instrument emblématique donnera une conférence avant-concert intitulée Le son du shakuhachi comme pratique spirituelle, une occasion rare d’écouter et de saisir l’une des sources de la fascination des compositeurs pour le Japon.

 

La musique contemporaine est loin d’être purement cérébrale et peut se vivre dans l’instant sans autre connaissance particulière, comme le haïku, ce petit poème nippon de trois strophes très en vogue aujourd’hui en Occident. Intitulée Made in Japan, cette soirée de concert vous propose une immersion dans un monde de sens, celui d’un pays ancestral qui entretient depuis la restauration Meiji de 1868 des liens actifs et complexes avec l’Occident.

La première utilisation occidentale du haïku en musique date de 1912 avec les Trois poèmes de la lyrique japonaise de Stravinsky, dont l’inspiration a ouvert la voie à de nombreux compositeurs tels que Maurice Delage, John Cage, Olivier Messiaen ou plus près de nous, Pascal Dusapin et Philippe Hersant. «De nombreux compositeurs se sont penchés sur les musiques venant des traditions orales orientales, composées de séries de rythmes complexes avec des notions du temps très allongées, ce qui est totalement anti-conventionnel dans la musique occidentale» explique Yann Kerninon, le chef invité qui dirigera l’Ensemble Contrechamps et la chanteuse Hélène Fauchère pour Elusive Tangibility IV: 月見 (Tsukimi) (ndlr: Vision de la lune) (2008) de Steven Daverson, qui se donnera en première partie de soirée. Il poursuit: «Et je crois que le lien commun aux trois œuvres présentées lors de cette soirée est celui du ressenti, car c’est à partir de lui qu’elles ont toutes été écrites».

 

ART TRADITIONNEL

Si on trouve dès le 6ème siècle des traces écrites de l’utilisation de la flûte shakuhachi en bambou à embouchure libre dans la musique de cour, ce n’est qu’au 13ème siècle qu’elle revêt l’aspect religieux qu’on lui connait aujourd’hui.

Le haïku a lui aussi connu une évolution similaire, passant du haïkaï-renga, forme antérieure triviale développée par Sokan Yamazaki au 16ème siècle, pour devenir, avec Matsuo Basho (1644-1694), une poésie plus subtile qui procède du vécu, du ressenti, de choses impalpables.

«Le propre du haïku est d’exprimer la beauté dans le contenu des choses les plus simples et immédiates possible. Léger et en même temps très profond, il renferme une spiritualité très forte. Hors de la religiosité, il célèbre l'évanescence des choses à travers l’évocation de la nature. Basho a été nourri de culture chinoise et de philosophie bouddhiste, des cultures différentes qui l’ont inspiré pour développer sa poésie telle qu’on la connait aujourd’hui: le haïku crée l'émotion, en suggérant le contraste ambigu ou spectaculaire d'éléments naturels simples opposés ou juxtaposés. Ces contraires omniprésents dans un même décor, parfois dans la dualité, nous invite à aller au-delà pour avoir un tableau complet», souligne Hélène Fauchère, qui a notamment étudié au Conservatoire de Paris, et dont le Master de musicologie portait sur les liens entre musique et poésie à travers les mises en musique des poèmes de Stéphane Mallarmé.

 

ALLÉGORIES EN MUSIQUE

«Poésie de l’allusion et du non-dit, le haïku fait toujours appel à la sensibilité du lecteur. Joindre cette poésie à la musique est une façon d’aller vers le public en l’incluant en totalité dans l’instant. Cette poésie d’interpénétration de tout ce qui est éphémère et tout ce qui est éternel, soit l’éternel recommencement de l’éphémère, nous ramène finalement à l’essence de la musique qui est un art du temps: la musique ne vit que dans l’instant, comme ces poèmes», explique Hélène Fauchère.

Pour Yann Kerninon, l’émotion a été au cœur de la préparation du concert. «Après m’être imprégné de ces poèmes, ce sont des atmosphères et des ambiances que nous avons mis en place avec l’orchestre. Dans la pièce de Daverson, le son des instruments est parfois presque inaudible, comme juste soufflés à travers le bec d’une clarinette par exemple, ou carrément utilisé de manière moins conventionnelle à la musique classique, par des gratouillis sur les bois des violons. C’est une musique très organique et mystérieuse qui invite l’auditeur à aller plus loin, dans l’émotion, à l’écoute de ses sons au plus proche de la nature, dans l’idée qu’il y a toujours quelque chose à apprendre d’elle. Dans cette pièce, des passages très rapides, emplis de détails et d’événements, succèdent à des thèmes beaucoup plus lents, où le temps suspendu invite l’auditeur à prendre le temps de réfléchir sur ce qu’il vient d’entendre, sorte de pause propice à la méditation pour trouver sa place dans cette symbiose.»

 

PHILOSOPHIES DE L’UNIVERSEL

Pour terminer la soirée en beauté, six musiciens de l’ensemble Contrechamps présenteront Kurzwellen (1968) de Karlheinz Stockhausen. Ce dernier séjourna à plusieurs reprises au Japon, notamment en 1965 pour la composition de Telemusik à la NHK (radio japonaise) mais surtout en 1970 pour l’Exposition Universelle d’Osaka, où sa musique fut jouée presque chaque jour six mois durant. Il en retira une conception du temps musical et surtout de la relation entre la musique et l’environnement extérieur qui a profondément renouvelé sa production. Dans Kurzwellen, Stockhausen exploite le potentiel musical des récepteurs d’ondes courtes pour les introduire dans un processus de transformation et d’interaction avec six musiciens. Ces multiples processus ont pour lui une portée spirituelle qui permettrait aux musiciens et aux auditeurs d’expérimenter une «inspiration suprapersonnelle» à même de transcender leur ego et de les mener à une forme supérieure de conscience.

«L’attirance qu’ont les compositeurs pour la culture nipponne vient du ce mélange de minimalisme et de réflexion qui nous invite à aller voir au-delà du mot et de la composition, là où il rencontre une philosophie universelle, celle de sa propre interprétation. Tout le monde peut devenir penseur philosophe», conclut Yann Kerninon.

 

Alexandra Budde

 

Made in Japan, un concert de l’Ensemble Contrechamps sous la direction de Yann Kerninon le mardi 17 octobre au Studio Ernest-Ansermet à Genève. Avec Hélène Fauchère, mezzo-soprano et Wolfgang Hessler, shakuhachi.

Renseignements et réservations au +41.22.329.24.00 ou sur le site de l’Ensemble www.contrechamps.ch

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