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Cadeaux de bienvenue

Publié le 18.10.2025

En 1982, une jeune fille du nom de Tabea Zimmermann participe au Concours de Genève, alors dédié à l’alto. Du haut de ses 15 ans, la jeune Tabea semble réservée, mais illumine le Victoria Hall dès les premières notes sur son alto, comme en témoigne la vidéo de la finale avec l’Orchestre de la Suisse Romande, disponible sur Youtube. Jeune altiste mais déjà grande artiste, elle fait sensation et décroche le 1er Prix.

Depuis, sa carrière a explosé et l’altiste allemande est considérée comme l’une des plus grands altistes - si ce n’est la plus grande - actuels. Pour présider le Concours d’alto cette année, on ne pouvait pas imaginer mieux !

Et cerise sur le gâteau, Tabea Zimmermann sera à l’affiche du concert d’ouverture, partagé avec le NOVO Quartet. L’altiste allemande se réjouit d’être de retour, et son enthousiasme transparaît dans sa voix.


Le répertoire demandé au Concours de Genève est relativement différent du répertoire des autres concours. Quel a été votre objectif à travers celui-ci ?

Je pense que le musicien d'aujourd'hui - et en l’occurrence l'altiste d'aujourd'hui - doit élargir ses compétences, ses connaissances et s’aventurer sur des terrains moins connus. En réutilisant le répertoire de tous les concours et de toutes les auditions se pose le problème d’influence du professeur. Ce sont des œuvres qu’ils ont travaillées durant toutes leurs études et cela brouille la frontière entre leur vision et celle des enseignants.

Leur proposer de nouvelles choses les encourage à penser par eux-mêmes. C’est une manière d’en savoir beaucoup plus sur eux et de forcer leur créativité. Alors effectivement, là où Bach apparaît comme seul compositeur baroque dans la plupart des concours, nous avons choisi de proposer, en plus, les Fantaisies de Telemann et la Passacaille de Biber.


Stamitz et Hoffmeister, les deux concertos classiques imposés partout, sont absents du répertoire. Est-ce justement pour éviter les œuvres trop jouées ?

Ces deux concertos sont imposés dans tous les examens et auditions et les écoles pensent que si nous les travaillons continuellement, les étudiants auront plus de chances. D’après mon expérience, c’est tout l’inverse, car nous passons trop de temps sur des pièces qui n'en valent pas la peine

.Artistiquement parlant, Stamitz ne mérite pas que nous passions des mois et des années d'une jeune vie dessus, et nous passons à côté de beaucoup d'autres choses. Les altistes abordent le style classique à travers ces œuvres alors qu’elles sont loin d’égaler Mozart.

La sonate de Hummel, que je trouve magnifique, et qui est – à mon sens – beaucoup plus belle, permet de mieux aborder le style classique. Il faut les encourager à découvrir et ne pas se cantonner à ce qu’ils ont l’habitude de jouer. J’ai pourtant été surprise par les choix limités qu’ils ont faits, malgré toutes les options. La Passacaille de Biber, par exemple, n'a pas été jouée – ou peut-être par une personne. Sans doute une question d’habitude.






En parlant de choix limités, on remarque également que dans l’œuvre contemporaine, Kurtág a remporté un succès, en dépit d’une longue liste d’options.

Je peux comprendre pourquoi les musiciens le choisissent, parce que c'est une grande collection de pièces, et elles offrent aussi une interprétation très libre, cela laisse beaucoup d'espace à la lecture personnelle, ce qui est agréable.

Cela dit, certains redoutent la musique contemporaine parce qu’elle nécessite de s’affranchir des traditions, de trouver des solutions et faire ses propres choix, sans influence extérieure car les références n’existent pas – ou très peu. Pour moi, c’est justement une partie du plaisir. C’est ce que je m’efforce d’inculquer à mes étudiants.

Régulièrement, j'essaie de les confronter à quelque chose qu'ils n'ont jamais vu. Je m'assieds au piano, et nous jouons quelque chose qui n'est pas difficile à lire, mais qu'ils ne connaissent pas. Ils apprennent à se faire confiance et ils sont généralement de bien meilleurs musiciens dans ces situations que dans les œuvres qu'ils préparent longuement.


En ouverture du Concours, vous donnerez un concert, partagé avec le NOVO quartet. Votre programme, lui, est très romantique.

Brahms et le couple Schumann sont liés par une forte amitié qui n’est un secret pour personne. Joseph Joachim est maintenant plus connu comme violoniste virtuose, mais à l’époque, Brahms et les Schumann le considéraient comme un grand compositeur. Ils attendaient sa visite à Düsseldorf en 1853 et ont composé la sonate F.A.E. comme un cadeau de bienvenue.

Le jeune Brahms a été très influencé par Joseph Joachim. La relation entre les quatre donne du sens à leur présence simultanée, c'est pourquoi je les ai mis ensemble dans un programme. Joachim a écrit ces Mélodies hébraïques qui sont de belles pièces pour violon et piano. Vous ne trouverez pas de bon enregistrement d'ailleurs, mais c'est une belle musique.

En guise de contrepoint à tout ce matériel romantique, les Mélodies hébraïques ont été une bonne occasion de glisser le Lament de Yedid, une courte pièce écrite pour moi, mais que je n’ai pas encore créée. Je voulais lui trouver une place pour une première création, c’était l’occasion parfaite.

S’agissant d’une moitié de concert, j’ai fait en sorte de proposer une variété d’extraits – comme un menu qui mettrait l’eau à la bouche – mais qui ne sont pour autant pas déconnectés. Le programme a une cohérence.

Est-ce important pour vous qu'un programme de concert ait cette cohérence ?

Cela peut être une bonne chose. Je commence à expérimenter davantage pour mettre des pièces en dialogue les unes avec les autres, ou pour ne pas avoir d'applaudissements entre les pièces. Je fais toutes sortes d'expériences, car je pense que le format de concert doit évoluer.

J’imagine ce concert comme ma propre petite suite dont chaque extrait est un mouvement et dans laquelle les applaudissements intermédiaires n’ont pas de sens.


Encouragez-vous également jeunes musiciens à remettre en question le format d'un concert, offrir quelque chose de nouveau ?

Le changement a commencé à se faire. Par exemple, au Concours Hindemith, dont les demi-finales ont eu lieu ces derniers jours, les candidats ont dû faire quelque chose de moins traditionnel. Avec une sonate de Hindemith imposée, ils devaient créer leur propre programme, constitué de 45 minutes de musique et 12 minutes de parole. Ils avaient pour consigne d’établir des relations entre les pièces.

Donc je pense que c'est une bonne idée que les jeunes apprennent à penser de manière plus programmatique. Certains sont plus créatifs que d’autres, mais c'est intéressant de les voir penser par eux-mêmes ; ils apprennent à prendre position en pensant à l’intérêt de jouer telle ou telle pièce avec une autre. Le public aussi a besoin de sentir qu’il y a un sens derrière.


Propos recueillis par Sébastien Cayet


Tabea Zimmermann, Novo Quartet
Concert d'ouverture du Concours de Genève

Programme
Joseph Haydn
Quatuor à cordes en ré mineur Op. 103

Bedřich Smetana
Quatuor à cordes n°1 « From my life »

R. Schumann
Mein Wagen rollet langsam, Op. 142/4

C. Schumann
Allegretto, extrait des Romances, Op. 22

J. Brahms
Scherzo, extrait de la Sonate F.A.E.

Y. Yedid
Lament pour alto solo

J. Joachim
Mélodies hébraïques, Op. 9

Le 4 novembre 2025, 19h00 Salle Franz Liszt

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